
Les langues naissent et meurent comme tout organisme vivant. Elles se développent ou s'affaiblissent. Elles ont leurs périodes d'expansion ou de décadence. Elles dominent ou sont dominées. On dit même qu'elles ont des rapports de cannibalisme, une langue forte «mange» une langue faible.
C'est sans doute ce qui explique que sur les quelques 6 000 langues qui sont aujourd'hui parlées dans le monde, une dizaine au moins disparaît tous les ans. Par manque de locuteur, à cause d'une guerre, parce qu'une région se dépeuple, qu'une autre langue s'impose. Les raisons ne manquent guère. Mais les conséquences sont dramatiques chaque fois qu'une langue s'évanouit sans laisser de traces, c'est Lille partie des richesses linguistiques et donc du patrimoine culturel mondial- qui s'efface. Car une langue c'est avant tout le support d'une culture. «Des cultures muettes, il en existe rarement, commente Joseph Poth, directeur de la division des langues au secteur de l'éducation à l'Unesco. Sans langue pour la soutenir et la développer, une culture ne progresse plus, elle recule. De la même manière qu'un muscle qui n'est pas utilisé finit par dépérir.
Pour qu'une langue soit forte, capable d'exprimer toutes les expériences humaines, il faut l'utiliser et la solliciter dans tous les registres. Les frontières linguistiques sont d'ailleurs plus importantes que les frontières historiques dans l'esprit des gens : le peuple Saami préserve son identité culturelle et linguistique malgré le fait qu'il soit dispersé entre la Norvège, la Suède et la Finlande. C'est la langue qui crée le lien. La culture et la langue qui forment donc un couple indissociable. Tant qu'une culture est solide, la langue se maintient. Lorsqu'une langue est en danger, la culture l'est aussi. Le danger vient de partout. Une langue parlée par une minorité finit par être écartée des circuits officiels de communication. Elle risque de mourir si ceux qui la maîtrisent encore ne l'utilisent plus. C'est ce qui arrive lorsqu'une nation forte du point de vue économique, politique et militaire impose sa langue comme moyen général de communication. Ce type de langues « hégémoniques » a souvent existé dans l'histoire: dans l'Antiquité, l'arrivée du Latin a fait disparaître le Gaulois. Au Moyen-Age, le francien (Langue de l'Ile-de-France), parlé par la royauté, s'étendit en même temps que son pouvoir et finit par prendre le pas sur l'occitan, le francique et l'alémanique, alors qu'il était initialement moins parlé que ces langues régionales. Le français s'est souvent imposé aux populations colonisées. De nos jours, l'anglo-américain est devenu la langue dominante des échanges internationaux, notamment dans le domaine scientifique. Privilégier ainsi l'utilisation d'une langue dominante revient à réduire notre système de pensée et de vision du monde, affirme Joseph Poth. Car, même si les non anglophones d'origine parlent bien l'anglais, ils ne le maîtriseront jamais comme celui qui en a assimilé les structures pro-fondes dès son plus jeune âge. De ce fait, ils se placeront toujours en intellectuels de seconde zone par rapport aux locuteurs anglais originels. D'où le danger d'une langue hégémonique: les locuteurs ont l'impression de ne pas avoir besoin d'apprendre une langue autre que la leur, puisque celle-ci suffit à tout ?
LA PAIX PAR LES LANGUES
L'apprentissage des langues devient d'autant plus important. Il ouvre l'esprit sur de nouvelles manières de considérer les choses, ce qui fit dire à Napoléon que «celui qui parle deux langues vaut deux hommes». En parlant la langue de l'autre, on prend conscience des valeurs universelles, communes à toute l'humanité. C'est cela la paix par l'enseignement des langues et le rapprochement des cultures, que prône le programme Linguapax de l'Unesco.
Il s'agit, insiste Joseph Poth, d'apporter une réponse linguistique spécifique au problème posé par la violence. «Le dialogue existe tant que l'on parle». La rupture, la violence n'entrent en jeu que lorsqu'on ne peut plus discuter. Défendre la diversité des langues, promouvoir celles des communautés minoritaires, revient donc à donner à la paix une nouvelle chance. «On ne peut pas être en paix avec soi ni avec les autres s'il est interdit de s'exprimer selon sa culture propre». Et un conflit linguistique peut dégénérer en conflit culturel, voire en conflit armé. La question est d'actualité : en pays berbère, où la culture et la langue sont très fortes, la décision des autorités algériennes que l'arabe littéral serait la seule langue officielle a provoqué de sérieux remous.
Alors ? Comment freiner la disparition d'un patrimoine immatériel qui a survécu durant tant d'années et de siècles ? Fort heureusement, la mort d'une langue n'est pas toujours irréversible.
Ainsi, le komi, parlé dans l'Oural, a réussi à renaître depuis quelques années. De la télévision aux journaux, en passant par les bibliothèques, le cinéma, la littérature et l'école: tout le monde s'est mis au komi. Mais cela n'a pas été facile: «Les gens pensaient que pour avoir une perspective dans la vie, entrer à l'université, avoir du travail, il fallait forcément parler russe», explique Svetlana Khachtourova, directrice d'un centre linguistique de Moscou, qui s'est occupée de ce problème sur le plan linguistique. Vidée instaurée par Lénine était que l'unification des Républiques soviétiques devait se baser sur la russification. La « grande langue russe » a, de ce fait, été enseignée obligatoirement dans toutes les Républiques. A Komi, les familles s'étaient éloignées de leur langue, d'autant qu'un grand nombre de Russes étaient venus s'installer dans la région en raison des gisements de pétrole. Peu à peu le komi s'était « russifié » et aurait sans doute disparu si le Parlement n'avait pas adopté une loi favorisant le développement des langues (il en existe 150 différentes en Russie), donnant ainsi aux différents peuples l'opportunité de retrouver leur indépendance culturelle. Cela prouve que les Etats peuvent, selon Joseph Poth «légiférer en matière de politiques linguistiques et maintenir certaines langues dans le système éducatif, dam l'audiovisuel et la vie publique» de manière à leur fournir les moyens de se développer. Si on ne légifère pas, «c'est la loi de la jungle qui profite toujours au plus fort.
Par Mamadou Amadou Tamimou WANE
Expert en communication
PCA de la SSPP « Le Soleil »
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